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mardi 22 octobre 2013

L'esclavage: une institution du passé en Afrique?

Ce blog d’Ousmane Aly DIALLO, fait partie de la série de Wikiprogress sur la Sécurité Personnelle. Il résume les principaux points du  récent Index mondial de l’esclavage de la Fondation Walk Free, avec une emphase sur l’Afrique.


L’indice mondial de l’esclavage est un nouvel indicateur développé par la Fondation australienne Walk Free. Cet index classe 160 pays du monde selon 3 facteurs : la prévalence estimée de l’esclavage moderne au sein de la population, la mesure du taux de mariages précoces et une mesure de l’intensité du trafic de personnes (doubles flux, entrant et sortant) des États. Le score final est pondéré afin de refléter la première dimension de l’index : la prévalence estimée de l’esclavage moderne au sein de la population (95%).


L’esclavage apparait souvent comme une relique du passé, une institution qui nous rappelle les raids durant les siècles précédents, le commerce transatlantique avant d’être récemment glamourisé dans les productions hollywoodiennes. Mais la réalité est là, claire et nette : près de 30 millions de gens vivent dans des conditions d’esclavage moderne, allant de la mendicité forcée à l’esclavage de classe héréditaire.
Des 10 pays du classement (ayant la plus forte prévalence de populations sous condition d’esclavage), 5 sont d’Afrique : la Mauritanie (#1), le Benin (#7), la Côte d’Ivoire (#8), la Gambie (#9) et le Gabon (#10). 16.36% des 29.8 millions de gens sous condition d’esclavage viennent d’Afrique subsaharienne, qui est l’endroit le plus probable du monde où on risque d’être réduit  dans cet état.


Le rapport définit l’esclavage comme la possession et le contrôle d’une personne de façon à la priver sensiblement de sa liberté individuelle dans l’intention de l’exploiter en l'utilisant, lui dictant sa conduite, en bénéficiant de ses aptitudes en la transfèrant contre son gré ou en l'éliminant tout simplement. Cette exploitation se fait à travers la violence ou la menace de la violence, la tromperie ou la contrainte. L’esclavage prend plusieurs formes en 2013 et peut se manifester sous plusieurs noms. Le trafic humain, le travail forcé, les conditions de travail similaires à l’esclavage (la servitude due à l’endettement, mariage forcé ou servile, la vente ou l’exploitation des enfants, y inclus dans les conflits armés), tous ces phénomènes se retrouvent dans la définition de l’Indice Mondial de l’Esclavage.

La Mauritanie a été classée première dans l’index pour ce qui est de la prévalence de l’esclavage. Une grande partie de sa population (les abid et à un degré moindre les Harratines, qui sont des populations noires avec une culture arabo-berbère)[1] est privée de ses droits humanitaires naturels. Le rapport estime qu’entre 140,000 et 160,000 mauritaniens sur une population de 3.8 millions sont en état d’esclavage. Dans  ce classement, se reflète également les forts taux de mariage précoces et de trafic de personnes. L’esclavage y est surtout sous forme domestique et traditionnelle: des adultes et des enfants sont la pleine propriété de maîtres qui exercent leur domination sur eux et sur leurs descendants.

Le Bénin est le second pays africain dans ce classement. Le travail domestique informel – mettant à contribution les enfants- est sa forme dominante, comme dans toute l’Afrique de l’Ouest. À travers le système du Vidomegon, des filles aussi jeunes que sept ans, sont engagées comme travailleuses domestiques en échange de gîte et de subsistance. Une autre institution traditionnelle, le Vudusi ou « esclavage dans les temples », des jeunes filles sont offertes en sacrifices dans les temples et forcées de prendre soin de ces lieux tout au long de leur vie, en courant le risque d’être abusé sexuellement.

Le rapport montre en outre qu’il existe un trafic de femmes et d’enfants à l’intérieur du Bénin, des zones rurales aux villes, et même au sein des pays de la sous-région comme le Togo, le Nigeria, le Ghana, ou la Côte d’Ivoire entre autres. La mise en œuvre d’un accord avec le Nigéria, soutenu par l’Organisation internationale du Travail, constitue un grand pas vers l’éradication de cette forme d’exploitation, souligne cependant le rapport.

À la 143e place, l’Ile Maurice est l’État africain où il y a le moins de populations en état d’esclavage par rapport à la population. Les estimation tournent autour de 510 à 560 pour une population de 1,291,416 habitants. L’Ile met en œuvre également d’excellentes mesures dans des domaines connexes comme la gouvernance, comme le montre le récent Indice sur la gouvernance africaine, où elle est à la première place. L’Ile Maurice mène pour ce qui est de la stabilité et de la production du droit humain et celui des travailleurs, mais est derrière l’Afrique du Sud et le Gabon pour ce qui est des politiques sur l’esclavage moderne.

Global Slavery Index 2013 by 


Les lois et la persistance de l’esclavage
La majeure partie des États africains avec un fort taux d’esclavage interne ont dans leur système judiciaire, des lois qui rendent ces pratiques illégales. L’esclavage a été reconnue officiellement  en 1980 suite aux contestations du mouvement « El Hor » (« L’Homme libe » en hassanya) et rendue illégale et criminalisée encore une fois en 2007 par le premier gouvernement de la période post-Taya. Mais les poursuites criminelles envers les contrevenants sont rares, malgré l’existence de ces lois. Depuis la mise en œuvre de la dernière loi en 2007, et malgré le nombre important d’accusations des victimes envers leurs abuseurs, seule une condamnation a eu lieu selon le rapport.
L’inexistence d’une unité de justice ayant pour but l’application des dispositions de cette loi et le manque de données étatiques solides sur cette pratique constituent les principaux obstacles à l’éradication de cette pratique.
De même, au Bénin, l’existence d’une institution visant l’éradication du travail des enfants et l’existence d’une législation criminalisant ce phénomène ont eu peu d’effet. Une des raisons de ce manque d’efficacité suggérée est que les 126 inspecteurs du travail s’intéressent seulement au secteur formel alors que l’institution du Vudusi a surtout lieu dans le secteur informel. La création d’un Office Central pour la Protection des Mineurs (OCPM) s’inscrit ainsi dans le cadre de la lutte contre le travail des enfants par le gouvernement béninois. Mais le manque d’une vision à long terme qui prendrait en compte le  bien-être de ces enfants vulnérables diminue encore plus l’impact positif de ces mesures.

Des tendances  sont apparentes dans cet Indice. L’esclavage apparaît plus comme un trait culturel dans les pays où il se passe, et peut ne pas être considéré comme tel par les victimes et les coupables.

De plus, les femmes sont les plus touchées par cette institution. Elles sont disproportionnellement représentées au sein des populations en état de servitude. Une explication avancée est qu’elles sont souvent dans la sphère domestique de leurs maitres qui sont bien souvent dans des zones reculées, et difficilement atteignables par la justice de leurs états.

Sans l’accès à l’éducation et à des voies alternatives pour subvenir à leurs besoins, beaucoup parmi ces populations pensent que c’est la volonté de Dieu qu’elles soient dans l’état de servitude. En Mauritanie, comme la majeure partie de la population servile est maintenue dans cet état d’analphabétisme, ces populations ignorent souvent que selon la loi islamique, un musulman ne peut pas réduire à l’esclavage un autre musulman. Le manque d’éducation est ainsi un moyen pour perpétuer ces pratiques.

Les conflits, la pauvreté extrême, les forts taux de corruption et l’impact de l’exploitation des ressources naturelles pour approvisionner les marchés internationaux sont autant de facteurs qui augmentent les risques d’asservissement dans plusieurs pays africains.  Comme susmentionné, l’existence de lois punissant l’esclavage a eu peu d’effet sur la disparition de cette institution. Sa perpétuation est principalement due à un manque d’unité d’exécution de ces lois. La volonté politique sera ainsi déterminante pour la disparition de ces pratiques.




[1] Le terme Haratine désigne les esclaves affranchis. C'est différent de « abid qui est le terme hassanya pour désigner les esclaves mais dans le discours politique courant, la différence entre les deux termes est devenue floue. Voir cet article pour plus d’informations : http://thinkafricapress.com/mauritania/alive-and-well-mauritania-slavery-and-its-stubborn-vestiges?utm_content=buffer583c9&utm_source=buffer&utm_medium=facebook&utm_campaign=Buffer

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